Nous nous sommes assises sur des nattes dans la
case d'Achta alors qu'elle racontait son histoire en arabe tchadien,
sa langue maternelle. Elle était restée à la maison ce jour pour
parler avec nous et nous faire du thé. Achta a peut-être cinquante
ans. Elle avait été malade les semaines précédentes et venait de
perdre sa mère âgée, un mois auparavant. Elle vit dans une case au
bord de la ville. Sa sœur et quelques autres parents vivent dans des
cases voisines.
Achta est toujours chaleureuse et amicale.
Peut-être à cause de ce qu'elle a fait et l'expérience de vivre
dans d'autres régions, elle va à la recherche de femmes étrangères
et essaye de les amener à se sentir bien accueillies.
Mon père était un marabout (enseignant
islamique) important . Ma mère lui avait été donnée comme une
offrande, comme disent les Musulmans traditionnels. Nous sommes
originaires d'Abéché et descendants de l'Islam. Tous les gens de la
localité avait peur de mon père à cause de sa réputation.
J'étais mariée à chauffeur. Il était
chauffeur du directeur d'un programme gouvernemental chargé de
troupeaux de bétail. Nous nous sommes déplacés d'Abéché à Bokoro.
Nous nous sommes installés là-bas pendant six ans. Jusque-là, je
n'avais pas encore d'enfant. Mon mari avait d'autres femmes, pas
publiquement mais en secret. Un jour j'ai parlé avec lui face à face
et j'ai dit, "C'est mieux de se marier que de courir après les
femmes. Tu risques d'avoir une maladie vénérienne et me contaminer."
Il m'a répondu qu'il n'avait pas encore trouvé une femme qui lui
plaisait.
Peu après cela, alors que je me trouvais à
N'Djaména, il a décidé de se marier à une femme du nom de Halimé.
Notre voisin lui a demandé : "Peux-tu te marier à l'absence de
ton épouse?" "Non," dit-il, "je suis en train
d'attendre son retour et si elle approuve je me marierai avec Halimé.
Si elle n'approuve pas, je renverrai Halimé."
Dès mon arrivée il a commencé à me parler
de cette femme. "Elle est très maigre," dit-il. "Que
penses-tu d'elle?" A partir de ce moment j'ai envoyé mon
serviteur amener la fille devant moi.
J'ai répondu à mon mari : "C'est la
souffrance journalière et le travail domestique qui la rend maigre.
Elle n'est pas en mauvaise santé." Comme j'avais donné mon
conseil favorable, il a décidé de la marier. Il m'a donné de
l'argent pour acheter des habits et d'autres choses pour la dot.
Plusieurs jours après nous avons célébré le mariage. Cela s'est
passé dans ma maison. Après un moment Halimé a déménagé pour
être dans notre concession et garder la maison. Mais j'étais
toujours la personne responsable.
Après cela, ma co-épouse a eu des enfants
et mon mari a commencé à me mépriser. Il n'avait plus le désir de
me regarder quand bien-même nous étions mariés déjà depuis 17
ans. Les enfants de ma co-épouse étaient habitués à rester avec
moi et si quelqu'un venait dans la cour du dehors, il ne pouvait pas
savoir que les enfants n'étaient pas les miens.
Puis arriva ma belle-mère qui a commencé à
me fuir, causant beaucoup de problèmes. Après sa deuxième visite,
nous avons été affectés à Ati où elle vivait. Les problèmes ont
continué. J'ai dit à mon mari : "Je vais aller vivre avec ma
mère à Mongo. Je suis trop fatiguée de tous ces problèmes."
J'avais beaucoup réfléchi à ce qu'il fallait faire. Je ne pouvais
pas le tolérer. Nous avions vécu ensemble pendant 28 ans et je ne
pouvais pas lui donner un enfant. J'ai quitté Ati pour Mongo.
Pendant les troubles de 1979 (au début de la
guerre civile), il n'y avait pas de salaire pour les employés
fédéraux. Mon mari qui était un citoyen de la République
Centrafricaine, était totalement sans fonds. Il m'a demandé de
l'aider, d'aider Halimé et leurs enfants. J'avais un lit que j'ai
vendu à 7.500 CFA (US$30 ou 32 €). Puis le Pasteur Ratou m'a
donné un sac de mil. J'ai quitté pour Ati et j'y suis restée
plusieurs jours. Ensuite, il a pu trouver du travail et il a envoyé
Halimé à Mongo (la capitale du Guéra) pour toucher son salaire.
Elle a pris l'argent et l'a utilisé pour ses propres besoins. Elle a
même acheté de l'or. Elle a regagné notre mari avec 10.000 CFA
(US$40 ou 43 €) seulement. Il était en colère et a regretté de
m'avoir renvoyé. Il savait que je n'aurais pas fait une telle chose.
Pendant la famine de 1984 et 1985, le Docteur
Garsouk m'a trouvé un travail à la Croix Rouge où je devais
distribuer de la bouillie préparée, chaude. J'ai assisté aussi,
pendant une semaine, à un cours biblique organisé pour les femmes à
Bitkine. Le docteur a oublié mon nom et m'a inscrite sous le nom de
Achta Adoum au lieu de Achta Hassan, mais cela ne faisait rien en fin
de compte. Ma sœur a accepté de distribuer la bouillie pour moi
pendant que je fréquentais le cours biblique. La Croix Rouge nous
payait chaque mois avec du pétrole, du lait et des graines.
Je suis devenue une chrétienne en 1960 et je
veux remercier tous ceux qui m'ont aidé spirituellement et
matériellement. Je fais des paniers et je les vends pour me prendre
en charge.
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