Fatima est habitué à
Mongo. A première vue on voit une vieille femme fragile et mendiante
avec des cheveux blancs et des épaules très voûtées. Elle porte un
joug en bois avec une variété de cuvettes et de boîtes suspendues
de chaque côté. Elle va de place en place, demandant des vieilles
boîtes de conserve, des bouteilles, des bouts de tissu, ou d'autres
choses qu'elle peut vendre. Elle demande aussi occasionnellement à
manger et on lui offre toujours de l'eau.
Après un deuxième coup d'œil, on voit une
charmante femme avec fierté et dignité et une connaissance saine sur
les personnes autour d'elle. Elle vint un matin chez nous et nous a
partagé l'histoire de sa vie, puis elle est restée pour le déjeuner
et une sieste à l'ombre.
J'étais née à Gadjira et j'ai vécu là
jusqu'à mon mariage. C'est lorsque je me suis mariée que mon mari
m'a amenée ici à Mongo. Mon père venait de loin. Il était Walasso
du Mali. Je ne connais pas sa langue tribale. Il était traducteur. Il
a traduit le français en arabe et l'arabe en français.
J'ai mis au monde trois filles. Puis mon mari
a voyagé à Moïsala où il a fini ses jours. Je me suis remariée et
j'ai donné naissance à un garçon. Puis mon deuxième mari est mort.
Je me suis mariée encore. Cette fois-ci, mon
mari n'est pas mort mais nous avons divorcé. J'ai eu un enfant de ce
mariage. Mais par la suite deux de mes filles et un de mes fils sont
morts.
Ma fille aînée a grandi et s'est mariée.
Elle est allée chez son mari à N'Djaména. Son frère est venu lui
rendre visite et était gravement malade. Elle était hospitalisée
puis elle aussi est mort. Son frère l'a enterrée et est revenu me
dire la nouvelle. Il m'a posé des questions en ces termes: "Resterais-je
avec toi ou retournerais-je trouver les enfants de ma sœur puisqu'ils
sont encore petits?" Je lui ai répondu, "Va avec les
enfants." Suite à une maladie, il est mort après un long temps
passé avec les enfants de ma fille aînée.
J'avais cinq enfants mais maintenant je n'en
ai plus, si ce n'est pas les enfants de ma fille qui sont quatre:
trois garçons et une fille. Les garçons sont à l'école. La fille
voulait venir ici mais elle a donné naissance à des jumeaux, et
c'était dur de voyager avec les plus petits.
Mon premier mari était un marabout.
J'ai encore ses livres coraniques jusqu'à aujourd'hui. Je suis aussi
une musulmane. Ma langue maternelle est le dadjo. Je parle aussi
l'arabe.
Maintenant je vois difficilement. J'ai des
douleurs dans mon corps et je souffre des maux de dents. Je suis
totalement épuisée. Je suis âgée de quatre vingt ans. et j'habite
dans la concession de mon ancien mari.
Pendant la sécheresse j'étais déjà une
femme avec des enfants à charge. La sécheresse a duré sept ans et
était due à une invasion de criquets.
Mongo appartenait seulement aux Dadjo dans
les vieux temps. La frontière avec les Bidiyo et les Djonkor étaient
hors de la brousse. Il y avait autrefois des idoles chez les Dadjo
mais avec l'arrivée de l'Islam, ils ont abandonné les idoles.
A ce moment là, le secteur trois était en
brousse. Auparavant les Arabes étaient à Gadjira. Le chef des Arabes
a démissionné et ils ont élu un nouveau chef. Après les élections
ils se sont installés dans ce qui est appelé aujourd'hui le quartier
arabe.
Les blancs se sont premièrement installés
à Barwala. Puis ils ont passé deux ans à Bolong. Ensuite ils ont
passé six mois à Balgaga de l'autre côté de la montagne de Mongo.
Il n'y avait pas assez d'eau à Balgaga. Mon père les a encouragés
à venir à Mongo. Ils se sont installés dans des grandes résidences
qui existent encore aujourd'hui.
Le marché était en ce temps-là où sont
les restaurants maintenant. Ils ont construit un grand hangar couvert
de nattes pour bloquer le soleil. Chaque groupe ethnique avait sa
place où vendre. Ce n'est pas comme aujourd'hui où tout le monde est
mélangé.
La sécheresse a amené les Ouaddaïens (de
l'est au Tchad). Ils ont occupé les régions proches de la montagne.
En ce temps-là, quand les gens préparaient le bili-bili (bière
traditionnelle), ils jetaient le déchet au bord de la montagne. Les
Ouaddaïens rassemblaient ce déchet et le mangeaient. Aujourd'hui ils
sont les patrons, mais ils souffraient beaucoup en ces temps-là.
Beaucoup de Ouaddaïens qui vivaient à Sono
sont morts, parce qu'il y avait un grand puits profond où les Kenga
les y ont jetés; à tel point que les puits étaient rempli de corps.
Mon père a vu leur souffrance et les a encouragés à venir à Mongo.
Les Dadjo n'avaient rien, ni bœufs, ni
chèvres, même pas assez de graines (mil). Il y avait beaucoup de
savonniers. Maintenant il n'y en a pas beaucoup. Les gens avaient
l'habitude de rassembler la gomme arabique et de la vendre pour
s'acheter du mil. Et les femmes transportaient les fagots. De nos jours
le bois de chauffage sont transportés par des camions, des bœufs ou
des ânes. Une femme qui transporte le fagot est obligée de le vendre
moins cher. C'est difficile pour les pauvres de vivre à cause de
l'avance du désert.
Il y avait un homme au nom de Baradine.
C'était un grand commerçant. Il a acheté beaucoup de mil. Puis il
est allé voir le marabout pour lui demander d'empêcher la pluie de
tomber. Il a amené au marabout chacune de ces semences: mil, arachide,
sésame, etc. Il a aussi tué un chien noir. Et le marabout a prié
pour qu'il ne pleuve pas l'année suivante. Il y avait donc la famine.
Baradine a utilisé un verre pour vendre son mil qu'il a stocké,
faisant un grand bénéfice. Il avait enterré le chien depuis
longtemps et personne n'avait découvert le secret. Mais le chef de
canton a dit, "Malheur à quiconque veut faire du mal aux autres."
Retourner
à la page dédié aux femmes tchadiennes