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Fatima Baba Manout

     

Pour vous donner un clin d'œil sur la situation des femmes au Tchad, nous vous présentons quelques témoignages personnelles des femmes tchadiennes de la région du Guéra, tirés du livre "Là où habitent les femmes", éditée par Renée Johns et Rachel Bokoro du Comité Central des Mennonites, en 1993.

     Fatima est habitué à Mongo. A première vue on voit une vieille femme fragile et mendiante avec des cheveux blancs et des épaules très voûtées. Elle porte un joug en bois avec une variété de cuvettes et de boîtes suspendues de chaque côté. Elle va de place en place, demandant des vieilles boîtes de conserve, des bouteilles, des bouts de tissu, ou d'autres choses qu'elle peut vendre. Elle demande aussi occasionnellement à manger et on lui offre toujours de l'eau.
     Après un deuxième coup d'œil, on voit une charmante femme avec fierté et dignité et une connaissance saine sur les personnes autour d'elle. Elle vint un matin chez nous et nous a partagé l'histoire de sa vie, puis elle est restée pour le déjeuner et une sieste à l'ombre.

     J'étais née à Gadjira et j'ai vécu là jusqu'à mon mariage. C'est lorsque je me suis mariée que mon mari m'a amenée ici à Mongo. Mon père venait de loin. Il était Walasso du Mali. Je ne connais pas sa langue tribale. Il était traducteur. Il a traduit le français en arabe et l'arabe en français.
     J'ai mis au monde trois filles. Puis mon mari a voyagé à Moïsala où il a fini ses jours. Je me suis remariée et j'ai donné naissance à un garçon. Puis mon deuxième mari est mort.
     Je me suis mariée encore. Cette fois-ci, mon mari n'est pas mort mais nous avons divorcé. J'ai eu un enfant de ce mariage. Mais par la suite deux de mes filles et un de mes fils sont morts.
     Ma fille aînée a grandi et s'est mariée. Elle est allée chez son mari à N'Djaména. Son frère est venu lui rendre visite et était gravement malade. Elle était hospitalisée puis elle aussi est mort. Son frère l'a enterrée et est revenu me dire la nouvelle. Il m'a posé des questions en ces termes: "Resterais-je avec toi ou retournerais-je trouver les enfants de ma sœur puisqu'ils sont encore petits?" Je lui ai répondu, "Va avec les enfants." Suite à une maladie, il est mort après un long temps passé avec les enfants de ma fille aînée.
     J'avais cinq enfants mais maintenant je n'en ai plus, si ce n'est pas les enfants de ma fille qui sont quatre: trois garçons et une fille. Les garçons sont à l'école. La fille voulait venir ici mais elle a donné naissance à des jumeaux, et c'était dur de voyager avec les plus petits.
     Mon premier mari était un marabout. J'ai encore ses livres coraniques jusqu'à aujourd'hui. Je suis aussi une musulmane. Ma langue maternelle est le dadjo. Je parle aussi l'arabe.
     Maintenant je vois difficilement. J'ai des douleurs dans mon corps et je souffre des maux de dents. Je suis totalement épuisée. Je suis âgée de quatre vingt ans. et j'habite dans la concession de mon ancien mari.
     Pendant la sécheresse j'étais déjà une femme avec des enfants à charge. La sécheresse a duré sept ans et était due à une invasion de criquets.
     Mongo appartenait seulement aux Dadjo dans les vieux temps. La frontière avec les Bidiyo et les Djonkor étaient hors de la brousse. Il y avait autrefois des idoles chez les Dadjo mais avec l'arrivée de l'Islam, ils ont abandonné les idoles.
     A ce moment là, le secteur trois était en brousse. Auparavant les Arabes étaient à Gadjira. Le chef des Arabes a démissionné et ils ont élu un nouveau chef. Après les élections ils se sont installés dans ce qui est appelé aujourd'hui le quartier arabe.
     Les blancs se sont premièrement installés à Barwala. Puis ils ont passé deux ans à Bolong. Ensuite ils ont passé six mois à Balgaga de l'autre côté de la montagne de Mongo. Il n'y avait pas assez d'eau à Balgaga. Mon père les a encouragés à venir à Mongo. Ils se sont installés dans des grandes résidences qui existent encore aujourd'hui.
     Le marché était en ce temps-là où sont les restaurants maintenant. Ils ont construit un grand hangar couvert de nattes pour bloquer le soleil. Chaque groupe ethnique avait sa place où vendre. Ce n'est pas comme aujourd'hui où tout le monde est mélangé.
     La sécheresse a amené les Ouaddaïens (de l'est au Tchad). Ils ont occupé les régions proches de la montagne. En ce temps-là, quand les gens préparaient le bili-bili (bière traditionnelle), ils jetaient le déchet au bord de la montagne. Les Ouaddaïens rassemblaient ce déchet et le mangeaient. Aujourd'hui ils sont les patrons, mais ils souffraient beaucoup en ces temps-là.
     Beaucoup de Ouaddaïens qui vivaient à Sono sont morts, parce qu'il y avait un grand puits profond où les Kenga les y ont jetés; à tel point que les puits étaient rempli de corps. Mon père a vu leur souffrance et les a encouragés à venir à Mongo.
     Les Dadjo n'avaient rien, ni bœufs, ni chèvres, même pas assez de graines (mil). Il y avait beaucoup de savonniers. Maintenant il n'y en a pas beaucoup. Les gens avaient l'habitude de rassembler la gomme arabique et de la vendre pour s'acheter du mil. Et les femmes transportaient les fagots. De nos jours le bois de chauffage sont transportés par des camions, des bœufs ou des ânes. Une femme qui transporte le fagot est obligée de le vendre moins cher. C'est difficile pour les pauvres de vivre à cause de l'avance du désert.
     Il y avait un homme au nom de Baradine. C'était un grand commerçant. Il a acheté beaucoup de mil. Puis il est allé voir le marabout pour lui demander d'empêcher la pluie de tomber. Il a amené au marabout chacune de ces semences: mil, arachide, sésame, etc. Il a aussi tué un chien noir. Et le marabout a prié pour qu'il ne pleuve pas l'année suivante. Il y avait donc la famine. Baradine a utilisé un verre pour vendre son mil qu'il a stocké, faisant un grand bénéfice. Il avait enterré le chien depuis longtemps et personne n'avait découvert le secret. Mais le chef de canton a dit, "Malheur à quiconque veut faire du mal aux autres."

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  Pour le moment, la majorité des témoignages qu'on a pu recueillir viennent des femmes tchadiennes au Guéra. Les femmes tchadiennes partout dans le monde (surtout au sud et à l'est du pays, ainsi qu'à l'étranger) sont invitées à nous envoyer leur témoignage personnelle de ce que c'est vraiment d'être femme tchadienne...  
   

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