Débora (ou Am-Eli) s'est assise sur une natte, les
jambes tendues devant elle et fixait intensément les regards sur mon
magnétophone quand elle parlait. Elle avait évidemment
beaucoup pensé à ce qu'elle voulait dire à propos de sa vie. Elle a
parlé en moukoulou. Plusieurs des femmes qui parlaient le moukoulou
étaient présentes et écoutaient attentivement pendant qu'elle
parlait.
Am-Eli est une femme de petite taille, âgée d'environ 50 ans. Elle
est toujours pleine d'énergie et aime rire. Elle habite avec son fils
et sa famille au voisinage de la mission protestante.
Je suis venue de Moukoulou, dans le canton
Djonkor au Guéra. J'étais née dans une famille païenne. J'étais
mariée mais mon beau-père ne voulait pas de moi; c'est ainsi qu'ils
m'ont renvoyée. Je me suis alors mariée à un autre homme.
La famille de mon deuxième mari
adorait une idole nommée Menéce. Un des membres de la famille était
souvent malade. Avant que la personne malade ait retrouvé sa santé,
un autre membre de la famille tombait malade et ainsi de suite. Leur
idole leur a dit que ceci signifiait que leur maison était maudite et
qu'ils devraient abandonner la maison et toutes leurs possessions.
Cette sorte de chose se passait souvent. Avant de quitter la maison,
les membres de la famille doivent se laver et raser leur tête. Ils
quittent nus la maison, ne portant rien sur eux. Ils vont s'asseoir
sous un arbre non loin du village et les voisins leur apportent de la
nourriture, de l'eau et des habits. J'ai fait tout cela avec la
famille de mon mari. Après quelques jours nous avons commencé à
construire une autre maison.
La mère de mon mari a participé à ces
événements mais sa co-épouse, la deuxième femme, n'a pas
participé. Peu après, la deuxième femme a donné du sésame à ma
belle-mère et juste après cela, ma belle-mère devint paralysée.
Puis il y eut un incendie dans la maison de ma belle mère et elle
mourut. Mon mari était parti à la pêche. A son retour, les gens
l'ont rencontré pour l'encourager à rester un peu en dehors du
village avec les Arabes nomades. Ils ont eu peur que la malédiction
qui a tué sa mère puisse lui faire du mal aussi.
Après cela, mon mari et moi sommes restés
avec les missionnaires. Puis ma propre famille devait abandonner sa
maison parce qu'elle était maudite. Ils ont voulu que je passe par
les rites en quittant la maison avec eux comme je l'avais fait avec la
famille de mon mari. Nous avons refusé parce que nous étions déjà
des chrétiens. Mais lorsque ma famille a quitté la maison, je leur
ai apporté de la nourriture, de l'eau et des habits et j'ai tout fait
pour eux.
Ma mère et ma fille moururent peu de temps
après. Ma famille a dit que j'avais causé leur mort. Tous étaient
d'accord que c'était ma faute. Ils m'ont emmené devant le chef pour
lui dire que je n'ai pas obéi à leurs traditions. Maintenant les
conséquences devaient m'arriver. Le chef les a renvoyés à leurs
idoles.
Mais ma famille et mon mari m'ont abandonnée.
J'étais seule. Les chrétiens étaient ma famille. Mes frères
chrétiens Bokoro, Dounia et Timothée étaient avec moi à travers
ces injustices. J'étais ferme dans ma foi. Pendant la famine, je
portais de l'eau, dix voyages par jour. J'ai gagné de l'argent de
cette façon pour acheter la nourriture pour mes enfants.
Puis mon père mourut. Et ma famille m'a
interdit de venir à la maison. J'étais forcée de rester derrière
les maisons dans la concession. Ils m'ont dit de creuser le tombeau et
de porter les habits de deuil. (Ces devoirs étaient
traditionnellement fait par les hommes.) Pour me choquer, ils ont
essayé de me faire accepter les idoles de nouveau. Ils ont essayé de
me prendre parmi les idoles pour faire des sacrifices aux morts. J'ai
dit, "Non, le séjour des morts est terminé dans ce monde."
J'ai entendu entre eux-mêmes qu'ils saisiraient l'occasion pour me
battre si j'allais avec eux. Je les ai suivis de loin quand ils ont
emmené le cadavre au tombeau.
Mon mari m'a regagné plus tard et nous nous
sommes déplacés pour la mission à Mongo. Il a travaillé à la
mission et nous avons vécu dans la maison en face de la route de la
concession missionnaire. Mon mari est mort suite aux événements du
12 juin 1987. (Les troupes gouvernementales se sont attaquées à
beaucoup d'hommes dans la localité, les ont arrêtés pour les amener
à la prison de la capitale où ils les ont éventuellement tués.)
Un an plus tard, les anciens de l'église nous ont renvoyés de la
maison. J'avais déjà planté du mil, du gombo et des arachides là
dans ma concession. J'ai laissé tout cela derrière et ils m'ont
donné un sac de mil en échange. Mais je pensais que ce n'était pas
comme ma maison à Moukoulou où les chrétiens ne renvoient pas leurs
bien-aimés.
Dieu est toujours avec moi. Il m'aide dans
mes difficultés. Il dit de chercher d'abord le royaume de Dieu et les
autres choses nous seront données en plus.
J'ai huit enfants dont sept sont encore en
vie.
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