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Godio Débora

     

Pour vous donner un clin d'œil sur la situation des femmes au Tchad, nous vous présentons quelques témoignages personnelles des femmes tchadiennes de la région du Guéra, tirés du livre "Là où habitent les femmes", éditée par Renée Johns et Rachel Bokoro du Comité Central des Mennonites, en 1993.

Débora (ou Am-Eli) s'est assise sur une natte, les jambes tendues devant elle et fixait intensément les regards sur mon magnétophone quand elle parlait.  Elle avait évidemment beaucoup pensé à ce qu'elle voulait dire à propos de sa vie. Elle a parlé en moukoulou. Plusieurs des femmes qui parlaient le moukoulou étaient présentes et écoutaient attentivement pendant qu'elle parlait.
Am-Eli est une femme de petite taille, âgée d'environ 50 ans. Elle est toujours pleine d'énergie et aime rire. Elle habite avec son fils et sa famille au voisinage de la mission protestante.

     Je suis venue de Moukoulou, dans le canton Djonkor au Guéra. J'étais née dans une famille païenne. J'étais mariée mais mon beau-père ne voulait pas de moi; c'est ainsi qu'ils m'ont renvoyée. Je me suis alors mariée à un autre homme.
     La famille de mon deuxième mari adorait une idole nommée Menéce. Un des membres de la famille était souvent malade. Avant que la personne malade ait retrouvé sa santé, un autre membre de la famille tombait malade et ainsi de suite. Leur idole leur a dit que ceci signifiait que leur maison était maudite et qu'ils devraient abandonner la maison et toutes leurs possessions. Cette sorte de chose se passait souvent. Avant de quitter la maison, les membres de la famille doivent se laver et raser leur tête. Ils quittent nus la maison, ne portant rien sur eux. Ils vont s'asseoir sous un arbre non loin du village et les voisins leur apportent de la nourriture, de l'eau et des habits. J'ai fait tout cela avec la famille de mon mari. Après quelques jours nous avons commencé à construire une autre maison.
     La mère de mon mari a participé à ces événements mais sa co-épouse, la deuxième femme, n'a pas participé. Peu après, la deuxième femme a donné du sésame à ma belle-mère et juste après cela, ma belle-mère devint paralysée. Puis il y eut un incendie dans la maison de ma belle mère et elle mourut. Mon mari était parti à la pêche. A son retour, les gens l'ont rencontré pour l'encourager à rester un peu en dehors du village avec les Arabes nomades. Ils ont eu peur que la malédiction qui a tué sa mère puisse lui faire du mal aussi.
     Après cela, mon mari et moi sommes restés avec les missionnaires. Puis ma propre famille devait abandonner sa maison parce qu'elle était maudite. Ils ont voulu que je passe par les rites en quittant la maison avec eux comme je l'avais fait avec la famille de mon mari. Nous avons refusé parce que nous étions déjà des chrétiens. Mais lorsque ma famille a quitté la maison, je leur ai apporté de la nourriture, de l'eau et des habits et j'ai tout fait pour eux.
     Ma mère et ma fille moururent peu de temps après. Ma famille a dit que j'avais causé leur mort. Tous étaient d'accord que c'était ma faute. Ils m'ont emmené devant le chef pour lui dire que je n'ai pas obéi à leurs traditions. Maintenant les conséquences devaient m'arriver. Le chef les a renvoyés à leurs idoles.
     Mais ma famille et mon mari m'ont abandonnée. J'étais seule. Les chrétiens étaient ma famille. Mes frères chrétiens Bokoro, Dounia et Timothée étaient avec moi à travers ces injustices. J'étais ferme dans ma foi. Pendant la famine, je portais de l'eau, dix voyages par jour. J'ai gagné de l'argent de cette façon pour acheter la nourriture pour mes enfants.
     Puis mon père mourut. Et ma famille m'a interdit de venir à la maison. J'étais forcée de rester derrière les maisons dans la concession. Ils m'ont dit de creuser le tombeau et de porter les habits de deuil. (Ces devoirs étaient traditionnellement fait par les hommes.) Pour me choquer, ils ont essayé de me faire accepter les idoles de nouveau. Ils ont essayé de me prendre parmi les idoles pour faire des sacrifices aux morts. J'ai dit, "Non, le séjour des morts est terminé dans ce monde." J'ai entendu entre eux-mêmes qu'ils saisiraient l'occasion pour me battre si j'allais avec eux. Je les ai suivis de loin quand ils ont emmené le cadavre au tombeau.
     Mon mari m'a regagné plus tard et nous nous sommes déplacés pour la mission à Mongo. Il a travaillé à la mission et nous avons vécu dans la maison en face de la route de la concession missionnaire. Mon mari est mort suite aux événements du 12 juin 1987. (Les troupes gouvernementales se sont attaquées à beaucoup d'hommes dans la localité, les ont arrêtés pour les amener à la prison de la capitale où ils les ont éventuellement tués.) Un an plus tard, les anciens de l'église nous ont renvoyés de la maison. J'avais déjà planté du mil, du gombo et des arachides là dans ma concession. J'ai laissé tout cela derrière et ils m'ont donné un sac de mil en échange. Mais je pensais que ce n'était pas comme ma maison à Moukoulou où les chrétiens ne renvoient pas leurs bien-aimés.
     Dieu est toujours avec moi. Il m'aide dans mes difficultés. Il dit de chercher d'abord le royaume de Dieu et les autres choses nous seront données en plus.
     J'ai huit enfants dont sept sont encore en vie.

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  Pour le moment, la majorité des témoignages qu'on a pu recueillir viennent des femmes tchadiennes au Guéra. Les femmes tchadiennes partout dans le monde (surtout au sud et à l'est du pays, ainsi qu'à l'étranger) sont invitées à nous envoyer leur témoignage personnelle de ce que c'est vraiment d'être femme tchadienne...  
   

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