Joba, ou Am-Amina, est une femme arabe et une
nomade. Mon amie Geeska et moi avons pédalé nos bicyclettes jusqu'en
brousse pour trouver son camp. Elle était assise dehors et nous
attendait; après qu'elle nous a accueillies, elle nous a invitées à
entrer sous la tente. Sa tente a été faite de longs bâtons et de
nattes. Nous nous sommes assises sur son lit qui s'étalait de long de
la tente d'un côté. Pendant que nous parlions, les poules et les
chèvres entraient et sortaient en courant. Elle nous a donné du
yaourt frais et nous a préparé plus tard du thé sur le feu dans la
tente.
Quoique vieille et ayant des cheveux blancs,
Joba avait des yeux brillants et clairs et elle parlait courageusement
et clairement. Elle portait une petite bague au nez comme la plupart
des femmes arabes. N'étant pas trop timide, elle répondait
volontiers à toutes nos questions. Elle parlait en arabe, sa langue
maternelle.
Je viens de Kunjaru. Je vis normalement près
de Mongo pour deux mois puis je voyage avec ma famille entre Ati et
Mongo (à une distance d'environ 80 km). J'ai quatre garçons et trois
filles. Tous sont en vie. Mon mari est mort il y a huit ans. Nous
voyageons tous avec le bétail pendant la saison pluvieuse. Nous avons
aussi un champ de béribéri sur la route d'Abéché. Quand nous
récoltons les graines nous les gardons dans des greniers
traditionnels construits en terre. Nous ne vendons pas nos graines.
Je ne sais pas combien de vaches nous avons.
Nous ne les comptons pas. Nous trayons les vaches le matin et le soir.
Une vache donne environ un litre de lait le mati et un litre le soir.
Nous amenons un peu de lait et du beurre au marché pour les vendre.
Nous utilisons le reste du beurre pour nos cheveux. Avec l'argent de
la vente, nous achetons du sucre, du thé et du mil. Nous avons aussi
des troupeaux de chameaux mais ils sont très loin de Mongo maintenant.
Nous mangeons du mil et nous buvons du lait
au petit déjeuner. Nous avons de la boule et du lait pour le
déjeuner. Nous ne mangeons pas de viande à moins de l'acheter au
marché. Nous achetons parfois des haricots et des arachides au
marché. Nous ne mangeons pas des oeufs. Nous mangeons parfois du
poulet ou des cabris. Nous nous nourrissons généralement de lait.
Quand nous nous déplaçons d'un lieu à un
autre, je monte sur une vache. Cette année je suis restée à Mongo
pendant toute la saison pluvieuse parce que je suis en traitement
contre la lèpre. J'ai cette maladie depuis cinq ans. Il a plu un jour
et il y avait des poissons dans le fleuve. J'ai mangé de la sauce
avec des poissons en provenance d'Am-Timan. Et c'est ainsi
que j'ai eu la lèpre en mangeant du poisson. (C'est une des théories
traditionnelles parmi tant d'autres concernant la lèpre.) Je suis
allée voir un docteur à Ati mais une seule fois. Puis je suis venue
ici et je suis allée voir les docteurs blancs. J'aurai trois mois de
traitement. Ils m'ont donné des comprimés et je me sens mieux. Les
gens ici n'ont pas peur des lépreux.
Je me suis mariée quand j'étais très jeune.
Mon mari était aussi jeune. Nos mères étaient des sœurs. Nous
avons eu trois jours de fête et de danses. Nous avons abattu un bœuf
et nous avons mangé de la boule, du riz et des gâteaux. Nous avons
fait une grande tente où les hommes et les femmes pouvaient s'asseoir
pour tirer à l'occasion de la célébration de notre mariage. Mon
mari a payé la dot : deux vaches, 10.000 CFA (US$40 ou 43 €), du
parfum, des savons et du sucre.
Un an plus tard, j'ai donné naissance à
notre premier enfant. Mes deux sœurs étaient avec moi quand j'ai eu
mes enfants. Je n'ai jamais eu de problèmes. Voici comment se passe
l'accouchement : la femme accoucheuse reste devant la mère pour
délivrer l'enfant. Une corde est attachée au sommet de la tente pour
que la mère l'y tienne. Après la coupure du cordon ombilical avec
une lame de rasoir, la mère et l'enfant sont lavés avec de l'eau
chaude. La mère commence à nourrir le bébé immédiatement. Le
placenta est enterré. La mère reste à l'intérieur de sa tente, sur
le lit, pendant sept jours. Le septième jour est le jour qu'on donne
le nom à l'enfant. Les gens apportent de la farine, du sucre et un
don. Nous organisons une fête. Notre premier bébé était une fille.
Garçon ou fille, cela nous rend heureux.
On perce les oreilles des filles quand elles
ont cinq ans. On les perce dans trois endroits: au sommet, au centre
et au bas. La narine gauche est aussi percée.
Les enfants ne vont pas à l'école; ils vont
seulement aux champs. Les petits garçons et filles vont deux à deux
pour garder les chèvres. Ils partent le matin et ne reviennent qu'au
coucher du soleil.
Nous sommes des musulmans. Nous faisons le
Ramadan et les prières quotidiennes.
Nous allons voir les docteurs quand nous
sommes malades. Nous faisons vacciner nos enfants. Nous n'achetons pas
des médicaments traditionnels et nous n'allons pas consulter des
docteurs indigènes. Nos enfants ne souffrent pas de diarrhée et de rougeole.
C'était très difficile pendant la famine.
Un sac de mil coûtait 15.000 CFA (US$60 ou 64 €. Un sac de mil
coûte généralement US$12 ou 13 €). Nous étions obligés de
vendre nos vaches pour acheter des graines. Mais en ce temps-là, une
vache ne rapportait qu 10.000 CFA (US$40 ou 43 €; une vache se
vend toujours au prix double de cela). Nous étions obligés de vendre
beaucoup de vaches pour acheter du mil. Personne dans notre famille
n'est mort. Nous avons eu de la chance. Nous avions des vaches à
vendre.
Nous ne sommes pas en relation avec les gens
qui sont dans d'autres camps nomades ici. Nos enfants jouent parfois
mais nous ne nous mélangeons pas. Il n'y a pas de mariages avec les
autres nomades.
Nous sommes en bonne compagnie avec les
peuples de la localité. Pas de problèmes. Les soldats ne nous
dérangent pas. Nous n'avons rien à voler.
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