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Joba

     

Pour vous donner un clin d'œil sur la situation des femmes au Tchad, nous vous présentons quelques témoignages personnelles des femmes tchadiennes de la région du Guéra, tirés du livre "Là où habitent les femmes", éditée par Renée Johns et Rachel Bokoro du Comité Central des Mennonites, en 1993.

Joba, ou Am-Amina, est une femme arabe et une nomade. Mon amie Geeska et moi avons pédalé nos bicyclettes jusqu'en brousse pour trouver son camp. Elle était assise dehors et nous attendait; après qu'elle nous a accueillies, elle nous a invitées à entrer sous la tente. Sa tente a été faite de longs bâtons et de nattes. Nous nous sommes assises sur son lit qui s'étalait de long de la tente d'un côté. Pendant que nous parlions, les poules et les chèvres entraient et sortaient en courant. Elle nous a donné du yaourt frais et nous a préparé plus tard du thé sur le feu dans la tente.
     Quoique vieille et ayant des cheveux blancs, Joba avait des yeux brillants et clairs et elle parlait courageusement et clairement. Elle portait une petite bague au nez comme la plupart des femmes arabes. N'étant pas trop timide, elle répondait volontiers à toutes nos questions. Elle parlait en arabe, sa langue maternelle.

     Je viens de Kunjaru. Je vis normalement près de Mongo pour deux mois puis je voyage avec ma famille entre Ati et Mongo (à une distance d'environ 80 km). J'ai quatre garçons et trois filles. Tous sont en vie. Mon mari est mort il y a huit ans. Nous voyageons tous avec le bétail pendant la saison pluvieuse. Nous avons aussi un champ de béribéri sur la route d'Abéché. Quand nous récoltons les graines nous les gardons dans des greniers traditionnels construits en terre. Nous ne vendons pas nos graines.
     Je ne sais pas combien de vaches nous avons. Nous ne les comptons pas. Nous trayons les vaches le matin et le soir. Une vache donne environ un litre de lait le mati et un litre le soir. Nous amenons un peu de lait et du beurre au marché pour les vendre. Nous utilisons le reste du beurre pour nos cheveux. Avec l'argent de la vente, nous achetons du sucre, du thé et du mil. Nous avons aussi des troupeaux de chameaux mais ils sont très loin de Mongo maintenant.
     Nous mangeons du mil et nous buvons du lait au petit déjeuner. Nous avons de la boule et du lait pour le déjeuner. Nous ne mangeons pas de viande à moins de l'acheter au marché. Nous achetons parfois des haricots et des arachides au marché. Nous ne mangeons pas des oeufs. Nous mangeons parfois du poulet ou des cabris. Nous nous nourrissons généralement de lait.
     Quand nous nous déplaçons d'un lieu à un autre, je monte sur une vache. Cette année je suis restée à Mongo pendant toute la saison pluvieuse parce que je suis en traitement contre la lèpre. J'ai cette maladie depuis cinq ans. Il a plu un jour et il y avait des poissons dans le fleuve. J'ai mangé de la sauce avec des poissons en provenance d'Am-Timan. Et c'est ainsi que j'ai eu la lèpre en mangeant du poisson. (C'est une des théories traditionnelles parmi tant d'autres concernant la lèpre.) Je suis allée voir un docteur à Ati mais une seule fois. Puis je suis venue ici et je suis allée voir les docteurs blancs. J'aurai trois mois de traitement. Ils m'ont donné des comprimés et je me sens mieux. Les gens ici n'ont pas peur des lépreux.
     Je me suis mariée quand j'étais très jeune. Mon mari était aussi jeune. Nos mères étaient des sœurs. Nous avons eu trois jours de fête et de danses. Nous avons abattu un bœuf  et nous avons mangé de la boule, du riz et des gâteaux. Nous avons fait une grande tente où les hommes et les femmes pouvaient s'asseoir pour tirer à l'occasion de la célébration de notre mariage. Mon mari a payé la dot : deux vaches, 10.000 CFA (US$40 ou 43 €), du parfum, des savons et du sucre.
     Un an plus tard, j'ai donné naissance à notre premier enfant. Mes deux sœurs étaient avec moi quand j'ai eu mes enfants. Je n'ai jamais eu de problèmes. Voici comment se passe l'accouchement : la femme accoucheuse reste devant la mère pour délivrer l'enfant. Une corde est attachée au sommet de la tente pour que la mère l'y tienne. Après la coupure du cordon ombilical avec une lame de rasoir, la mère et l'enfant sont lavés avec de l'eau chaude. La mère commence à nourrir le bébé immédiatement. Le placenta est enterré. La mère reste à l'intérieur de sa tente, sur le lit, pendant sept jours. Le septième jour est le jour qu'on donne le nom à l'enfant. Les gens apportent de la farine, du sucre et un don. Nous organisons une fête. Notre premier bébé était une fille. Garçon ou fille, cela nous rend heureux.
     On perce les oreilles des filles quand elles ont cinq ans. On les perce dans trois endroits: au sommet, au centre et au bas. La narine gauche est aussi percée.
     Les enfants ne vont pas à l'école; ils vont seulement aux champs. Les petits garçons et filles vont deux à deux pour garder les chèvres. Ils partent le matin et ne reviennent qu'au coucher du soleil.
     Nous sommes des musulmans. Nous faisons le Ramadan et les prières quotidiennes.
     Nous allons voir les docteurs quand nous sommes malades. Nous faisons vacciner nos enfants. Nous n'achetons pas des médicaments traditionnels et nous n'allons pas consulter des docteurs indigènes. Nos enfants ne souffrent pas de diarrhée et de rougeole.
     C'était très difficile pendant la famine. Un sac de mil coûtait 15.000 CFA (US$60 ou 64 €. Un sac de mil coûte généralement US$12 ou 13 €). Nous étions obligés de vendre nos vaches pour acheter des graines. Mais en ce temps-là, une vache ne rapportait qu 10.000 CFA (US$40 ou 43 €; une vache se vend toujours au prix double de cela). Nous étions obligés de vendre beaucoup de vaches pour acheter du mil. Personne dans notre famille n'est mort. Nous avons eu de la chance. Nous avions des vaches à vendre.
     Nous ne sommes pas en relation avec les gens qui sont dans d'autres camps nomades ici. Nos enfants jouent parfois mais nous ne nous mélangeons pas. Il n'y a pas de mariages avec les autres nomades.
     Nous sommes en bonne compagnie avec les peuples de la localité. Pas de problèmes. Les soldats ne nous dérangent pas. Nous n'avons rien à voler.
 

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  Pour le moment, la majorité des témoignages qu'on a pu recueillir viennent des femmes tchadiennes au Guéra. Les femmes tchadiennes partout dans le monde (surtout au sud et à l'est du pays, ainsi qu'à l'étranger) sont invitées à nous envoyer leur témoignage personnelle de ce que c'est vraiment d'être femme tchadienne...  
   

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