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Ruth Kangarde

     

Pour vous donner un clin d'œil sur la situation des femmes au Tchad, nous vous présentons quelques témoignages personnelles des femmes tchadiennes de la région du Guéra, tirés du livre "Là où habitent les femmes", éditée par Renée Johns et Rachel Bokoro du Comité Central des Mennonites, en 1993.

Ruth, ou Am-Ratou, est une jeune femme, qui travaille comme guide dans le développement rural. Elle n'a pas peur de parler. Son apparence est frappante. Elle est grande de taille et avec ses grandes pommettes et son joli teint elle rivalise les mannequins de haute couture. Elle vint me trouver à la maison pour parler puisque chez elle, elle est toujours occupée à prendre soin des enfants et de beaucoup d'amies et voisines qui lui rendent visite. Elle a parlé en français. Sa première langue est le Kenga mais elle parle aussi l'arabe tchadien.

     Je suis née en 1959 à Korbol. Je suis l'aînée des enfants. Nous avons vécu à Korbol jusqu'à mon âge scolaire. Mais les rebelles venaient de temps en temps maltraiter les personnes et brûler les maisons. Un jour nous avons entendu des coups de fusil et les villageois et nous-mêmes avons fui pour nous cacher dans les montagnes. Chaque fois c'était comme ça. Mon père a vu que cela était troublant pour les enfants, et nous avons déménagé à Bitkine. Mon père continuait d'aller chaque jour à Borko pour son travail parce qu'il était infirmier.
     Quand mon père était jeune, il a rencontré un missionnaire Suisse nommé Barh. C'est à cette période qu'il a fait la connaissance du Sauveur et a commencé à vivre une vie chrétienne. Puis il a épousé ma mère et ils se sont installés à Korbol. Petit à petit ma mère aussi a fait la connaissance du Sauveur. Ils sont tous les deux baptisés. Ils ont demeurés chrétiens et restent fermes dans la foi.
     J'ai rencontré mon mari lorsque nous étions tous deux de jeunes personnes à l'église de Bitkine. Un jour, chacun de nous a su que nous avions été choisis pour nous marier. Moussa, mon mari, a grandi dans une famille musulmane. Il était venu à Mongo pour aller à l'école et a vécu à l'internat de la mission protestante. Là il s'est converti et est resté chrétien. Il est maintenant un des pasteurs/ anciens de l'église. Notre mariage était le premier mariage de toutes les églises qui sont dans les villages autour de Bitkine. Nous avons invité les personnes de toutes les églises qui sont dans les villages autour de Bitkine. C'était un jour exceptionnel. L'église était pleine; et celles qui n'avaient pas de places restaient dehors. Beaucoup d'autres personnes sont venues observer par curiosité.
     Après le mariage, mon mari était affecté et nous avons quitté Bitkine pour N'Djaména, la capitale. C'était en 1979, et la guerre civile avait commencé. Tout était bloqué. Il n'y avait même pas de l'eau aux robinets. L'oncle de mon mari était au Nigeria et nous avons décidé d'aller là-bas. Nous avons traversé le Chari. J'avais mon bébé Ratou au dos et nous portions nos biens sur la tête. L'eau était à ma taille. Beaucoup de personnes allaient et venaient à travers le fleuve.
     Nous avons vécu avec les gens de Kanouri au Nigeria, en brousse. Les gens là-bas coupaient le bois, et de gros camions venaient les ramasser pour les vendre à la grande ville de Maiduguri. Toute personne était autorisée à avoir un terrain pour cultiver, là-bas. C'était la raison pour laquelle nous avons choisi cet endroit. La première année était difficile mais la suivante était bonne. Le sol produisait bien. Et ma fille Nakoro est née là. Il y avait aussi une famille tchadienne. Les gens étaient très contents que nous soyons là.
     Nous recevions de temps en temps des nouvelles sur la guerre. Nous étions inquiets pour nos familles mais c'était pire à N'Djaména qu'au centre du pays où se trouvaient nos familles.
     Aucune des personnes de la localité n'était chrétienne, mais elles nous ont donné la liberté de tenir nos cultes d'adoration. Il y avait aussi des jeunes gens venus du sud du Nigeria pour travailler. Ils étaient aussi des chrétiennes et nous avions nos cultes ensemble. Nous adorions Dieu et chantions chaque dimanche. Les villageois venaient voir et écouter ce qui se passait. Nous étions chaleureusement accueillis, et quand le moment était arrivé pour nous de quitter, les villageois étaient très tristes. Les femmes ont pleuré quand je leur ai dit que nous retournions au Tchad.
     Nous sommes retournés à N'Djaména pour un temps, puis mon mari fut affecté à Bitkine. Il a travaillé plusieurs années là-bas et en 1989 nous étions affectés à Mongo.
     Pendant notre deuxième année, j'étais élue présidente d'un groupe de femmes, nommée Femmes de Charité des Assemblées Chrétiennes du Tchad. Mon temps s'est bien passé sans problème à la présidence. C'est bien d'avoir un groupe de femmes parce que les femmes jouent un rôle très important dans la vie. Elles peuvent aider l'église dans toutes les circonstances. Chaque vendredi nous visitions les femmes nouvelles, celles qui viennent d'accoucher, ou celles qui ont eu un cas de décès dans leur famille. Les dimanches soirs nous avons des rencontres d'évangélisation. Les dirigeantes des rencontres se retrouvent tous les mercredis.
     Nous avons environ 40 femmes chaque dimanche même si cela change. Je vois de nouveaux visages à chaque rencontre. Nous sommes obligées de traduire parce que les femmes parlent en différentes langues. Si le verset biblique se trouve dans l'Ancien Testament nous le traduisons en arabe. Si le verset se trouve dans le Nouveau Testament, nous ne sommes pas obligées de le traduire parce que les femmes sudistes ont leur Nouveau Testament en sara et les femmes de la localité ont leur Nouveau Testament en arabe. 
     Nous faisons aussi des sketches pour le programme de Noël. Nous allons commencer à préparer pour Noël très tôt cette année! Nous avons aussi des rencontres régionales des Femmes de Charité le douzième jour de chaque troisième mois.
     J'ai aussi travaillé pour Pain pour le Monde, le développement rural. Je suis très occupée, mais j'aime aider mes sœurs qui ne sont pas informées. Si quelqu'un connaît quelque chose, il doit partager cela afin que les autres l'apprennent aussi.
     J'ai sept enfants. Le premier est mort à l'âge d'un mois. Le premier enfant est le plus difficile ici. J'ai cinq frères et six sœurs. Un frère et une sœur étudient maintenant pour être infirmiers.

Développement Villageois

     Je suis aussi un guide pour le développement villageois au compte de Pain pour le Monde à Mongo. J'ai commencé dans le domaine de la santé, mais ce projet a été supprimé, et maintenant nous travaillons dans le domaine de l'agriculture. Nous allons en moto ou en voiture parce que les cinq villages où je vais sont un peu loin et je ne veux pas marcher pour y aller.
     Dans chacun de ces villages, les femmes se sont organisées et ont établis des règles à suivre. Elles se rencontrent chaque lundi ou vendredi. Elles se retrouvent souvent chez la présidente pour discuter et poser des questions. Toute femme est libre de se joindre aux autres pour contribuer au développement du village, et est aussi libre de se retirer du groupe comme elle le veut. Si elle ne suit pas les règles établies, on peut lui demander de quitter.
     Nous enseignons maintenant aux femmes à cultiver leurs champs d'arachides avec des ânes. Beaucoup de personnes ici travaillent avec des bœufs. Ma famille a un bœuf. Cependant, il est plus difficile de travailler avec un bœuf - et plus dangereux puisqu'ils ont des cornes. Cela peut être difficile, surtout pour une villageoise qui n'est pas habituée à faire ainsi.
     Nous leur disons aussi de garder le tiers de leur récolte pour les semences de l'année suivante. Une femme dira souvent, "Mais ma récolte était si maigre l'année dernière et je n'ai pas de semences." Je lui dis que ça m'est égal si un tiers de récolte n'est pas plus qu'un verre de thé plein de semences. Elle doit prendre encore ces semences et les attacher dans un vieil habit ou autre chose et les mettre ailleurs pour l'année suivante. Elle ne doit pas faire un repas avec ces grains. Autrefois les gens savaient le faire mais maintenant, à cause de l'argent et des produits importés, beaucoup de personnes vendent leurs semences et n'ont rien à planter l'année suivante.
     Les femmes nous écoutent et font ce que nous leur disons de faire. Nous sommes souvent capables de les encourager.

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  Pour le moment, la majorité des témoignages qu'on a pu recueillir viennent des femmes tchadiennes au Guéra. Les femmes tchadiennes partout dans le monde (surtout au sud et à l'est du pays, ainsi qu'à l'étranger) sont invitées à nous envoyer leur témoignage personnelle de ce que c'est vraiment d'être femme tchadienne...  
   

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